Maraîchers, vous avez dit maraîcher ? Mais en bio ou en conventionnel ? En agriculture raisonnée, en permaculture, en intensif ? Sous serre ou en plein champ ? Tellement de cases dans lesquelles on pourrait être rangés… et souvent plusieurs cases pour y mettre chaque ferme. Allons voir ce qui se cache derrière tous ces mots !
Les différents types de maraîchers
Depuis quelques années, de nombreux projets en maraîchage voient le jour. Et souvent portés par des personnes en reconversion professionnelle, pour qui le bio est une évidence. Mais ce n’est qu’un des nombreux paramètres à décider. Pour vous guider, voici d’abord un rapide survol des 3 grandes catégories qu’on pourrait distinguer.
Les maraîchers traditionnels (ou conventionnels, ou « en chimie »)
Souvent issus de « vieilles » fermes qui ont vu apparaître, après la Seconde Guerre mondiale, à la fois la mécanisation, les engrais de synthèse et les pesticides... et qui les ont adoptés. Souvent installés sur plusieurs hectares, avec une bonne partie sous serre, plus ou moins mécanisés (tracteur, récolteuse, trieuse, laveuse, ensacheuse…) et entourés de quelques salariés. Ils fournissent le plus souvent les marchés de gros (type Rungis) mais s’organisent aussi parfois pour faire de la vente directe sur les marchés de plein vent.
Certains choisissent de faire évoluer leurs pratiques vers l’agriculture raisonnée (définition selon agriculture-de-demain.fr : « mode de production agricole dont le principal objectif est d’optimiser le résultat économique tout en maîtrisant les quantités d’intrants afin de limiter leurs impacts sur l’environnement ») ou l’agriculture biologique.
Les maraîchers Bio
Tout comme en « maraîchage traditionnel », on va retrouver ici de vieilles fermes, ou des récentes, mais qui ont fait le choix de bannir la chimie de synthèse, mais pas forcément les engrais ni les pesticides. En effet, les engrais organiques (issus du vivant) comme le sang séché, les algues, la poudre d’os sont autorisés et très souvent utilisés. Quant aux pesticides (insecticides, anti-limaces, fongicides…), ils peuvent être utilisés s’ils font partie d’une liste blanche du cahier des charges AB. Il peut s’agir de cuivre contre les champignons, de phosphate ferrique contre les limaces, de spinosyne contre les insectes… Tout comme en « conventionnel », il s’agit de répondre à un agresseur en le tuant.
Pour y arriver, il existe aussi d’autres « armes » comme les bactéries (la plus connue est le Bt ou Bacillus thuringiensis qui sécrète des cristaux mortels pour certains insectes), les coccinelles mangeuses de pucerons, ou certaines guêpes qui mangent ou pondent dans des chenilles. On parle alors de « lutte intégrée » ou « lutte biologique ».
Comme en maraîchage traditionnel, on va trouver ici une grande diversité de ferme. Des grosses et des petites, utilisant plus ou moins d’intrants et vendant en gros ou au détail.
Les maraîchers en permaculture ou en agriculture naturelle
La permaculture et l’agriculture naturelle vont toutes les deux favoriser la vie plutôt que lutter contre (contre un ravageur, contre une maladie…) et donc bannir tout produit en « …cide ». De plus, pour favoriser la vie du sol et sa fertilité, le sol sera toujours couvert (paille, foin, feuilles, culture couvrante…), et jamais travaillé. Les différences entre les deux approches sont nombreuses, mais pourraient se résumer à l’importance du design pour les « perma », et le moindre interventionnisme pour les « naturelles » (pas de taille…).
Mais dans les deux cas, les fermes seront le plus souvent petites, peu mécanisées, et en circuit court. Certains feront le choix d’être certifiés en AB, d’autres pas.
Depuis quelques années, la rencontre de paysans-maraîchers-permaculteurs-chercheurs a donné naissance à un « nouveau » concept : le maraîchage sur sol vivant qui promeut la fertilité des sols par l’absence de travail du sol et une couverture permanente, tout en cherchant des solutions pour accélérer les phénomènes d’aggradation et faciliter la mise en œuvre des cultures à échelle maraîchère. Beaucoup sont en Bio, mais pas tous.
Les contours de ces 3 grandes catégories de maraîchers (conventionnels, en bio ou en permaculture) sont très arbitraires et beaucoup de fermes se retrouveront à la fois dans l’une et dans l’autre.
Les 5 choix importants à faire avant de se lancer dans une activité de maraîcher
Que vous ayez déjà une ferme, vieille ou récente, ou qu’elle soit en cours de création ou en phase de réflexion, vous avez ou aurez de nombreux choix à faire. En voici cinq importants qui vont guider toute votre installation.
Pesticides ou pas ?
Un milieu naturel (vraiment naturel) est en équilibre stable. Il y a de nombreux êtres vivants, et tous interagissent plus ou moins entre eux. Certains meurent et d’autres en profitent. Dès que l’on va cultiver dans cet espace, on va le perturber et favoriser certains insectes, plantes, champignons au détriment d’autres. Plus on interviendra, plus on perturbera. Et les pesticides (autorisés en bio ou pas) perturbent énormément. J’ai choisi de n’en utiliser aucun (sauf un peu d’anti-limaces la première année), et ça se passe bien. Mais attention, il ne suffit pas de supprimer les pesticides pour que ça marche.
Avec ou sans travail du sol ?
Toujours pour les mêmes raisons (perturber le moins possible le milieu) j’ai choisi dès le début de ne pas travailler le sol et ça n’a pas bien poussé ! En effet, en 2009 je ne connaissais personne qui savait le faire, et ma seule référence était M. Fukuoka. Depuis mes techniques ont évolué très rapidement et j’y arrive désormais très bien. Ouf ! Avec un peu plus de connaissances, j’aurai gagné du temps et économisé l’achat (la mort dans l’âme) d’un bon gros motoculteur.
C’est un choix important à faire, aussi bien pour orienter vos investissements que pour choisir vos apprentissages et formations. Et c’est à mon avis un choix aussi important que celui de bannir les pesticides de votre ferme. Car en plus de favoriser votre équilibre biologique, c’est ce sol vivant qui fabrique sa propre fertilité.
Quelle surface cultiver en maraîchage ?
1000 m² cultivés peuvent générer plus de 30 000 euros de chiffre d’affaires par an. Mais pas dans n’importe quelles conditions. Il faudra associer les cultures dans l’espace et dans le temps d’une manière aussi complexe que passionnante (je conseille à ceux qui lisent l’anglais le livre de John Jeavons « How to grow more vegetables », et celui de J. G. Moreau et J. J. Daverne « Manuel pratique de la culture Maraîchère de Paris ») et les faire se succéder sans ralentir tout au long de l’année, tout en réussissant à bien vendre ces récoltes.
À l’opposé de cette approche, on peut choisir de cultiver en plein (une seule espèce par planche de culture), ce qui facilite à la fois l’assolement et la mise en place des cultures et des couverts (mulch ou engrais vert) mais nécessite beaucoup plus de surface.
Cultiver avec ou sans moteur ?
Je n’apprécie guère la compagnie des moteurs (surtout thermiques), et c’est sans doute pour ça qu’il y en a peu chez moi. Je suis bien conscient de l’importance des services qu’ils me rendent à chaque fois que j’en utilise un, mais si je peux m’en passer, je le fais. Mais ne croyez pas que l’absence de travail du sol entraîne l’absence de tracteur. Ils peuvent être très pratiques aussi bien pour transporter (vos récoltes, le mulch,…), semer ou planter, que pour la mise en place du mulch sur « grandes surfaces ». La traction animale peut, dans bien des cas, remplacer avantageusement 2 ou 3 moteurs.
Quel mode de commercialisation ?
Vendre sur place, à la ferme ou vendre ailleurs déterminera certains de vos premiers investissements. J’ai choisi la vente à la ferme, en paniers. Ça m’a coûté 150 euros de gravier pour aménager 4 places de parking et nécessite de se créer une clientèle fidèle et qui se déplace. Mais ça m’a permis d’économiser l’achat d’une camionnette (plus l’entretien), de tables et de parasols pour le marché. De plus, ne vendant que 2 jours par semaine, entre 17H et 19H, la vente ne me mobilise que 4H par semaine.
Il existe bien d’autres modes de commercialisation : marchés, restaurants, AMAP, épiceries, Biocoop, grossistes… Et vous pouvez en combiner plusieurs. Aucun n’est meilleur en soit, mais il vous faut bien penser à cet aspect souvent négligé lors de la phase d’installation.
Conseils avant de créer votre ferme ou de développer votre projet de maraîchage
Sans chercher à calquer votre future ferme sur un modèle existant, vous pouvez vous inspirer de ce qui existe et marche bien ailleurs.
C’est une des raisons d’être de mon blog : faire connaître un modèle agricole qui fonctionne, sans pour autant (mais alors pas du tout) l’ériger en modèle duplicable tel quel partout ailleurs.
Joël Salatin, dans son livre « You Can Farm » récemment traduit en français, et que je viens de lire, donne de nombreuses pistes pour créer votre modèle économique réussi d’une ferme en agroécologie.
Autre livre formidable pour ceux lisant l’anglais, car hélas non encore traduit : « The new organic grower » d’Eliot Coleman.
Pour finir, voici mes principaux conseils de départ : lisez beaucoup, visitez aussi des fermes inspirantes et pratiquez à chaque fois que vous pouvez (dans votre jardin, celui des voisins ou en woofing) pour toujours confronter la théorie et la réalité avant de vous lancer sérieusement.
A bientôt pour un prochain article sur mes trucs et astuces de maraîcher pour gagner du temps !!!
Jérôme Boisneau
Pour lire notre article sur le livre ci-dessous, rendez-vous ici !
L’agriculture naturelle
Théorie et pratique pour une philosophie verte
Masanobu Fukuoka
Éditions Guy Tredaniel – 2004.
22 €
Le jardinier-maraîcher
Manuel d’agriculture biologique sur petite surface
Jean-Martin Fortier
Éditions Écosociété .
27 €
Manuel pratique de la culture Maraîchère de Paris
J. G. Moreau et J. J. Daverne
Éditions CreateSpace Independent Publishing Platform – 2020.
26 €
You can farm
Le modèle économique à succès d’un pionnier de l’agroécologie
Joël Salatin
Editions France Agricole – 2017.
29 €
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Produire une partie de votre nourriture de façon saine et respectueuse de l’environnement vous intéresse ? Pour maximiser vos chances de succès et belles récoltes, trouver le support culture le mieux adapté à votre contexte propre sera indispensable.
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Les formations principales en permaculture
Les formations complémentaires en permaculture
Jérôme Boisneau
Paysan maraîcher en permaculture depuis 2009, Jérôme Boisneau a gardé de sa formation d'ingénieur l'esprit de recherche et d'expérimentations. Il a créé en 5 ans une micro-ferme résiliente et économiquement viable, et partage tout ça à la fois sur son blog www.permaraicher.com et dans des vidéos, conférences ou formations.
Juste pour dire merci pour ces informations. Elles sont très utiles. Et c’est comme cela que nous allons attirer de plus en plus de personnes vers le bio et changer nos attitudes et peut-être sauver la planète.
Bonjour Dorian,
c’est vrai que les chiffres avancés par JM Fortier sont en dollars canadiens, et j’avais fait les conversions et les calculs pour rapporter tout ça à notre marché et arrivait à peu près à vos conclusions. Mais dans ses conditions très différentes, ils arrivent à un système économique qui semble viable. Pas forcément duplicable, mais qui peut malgré tout donner des idées ou de l’inspiration. Tous n’est pas forcément bon à prendre partout, à chacun de créer son modèle 🙂
Pas sûr que la perma soit viable économiquement, peut être avec des dons, stagiaires , livres et conférences monétisées 😉 Ça reste utopique, je me demande combien de famille vous arrivez à nourrir
P.S.: Coleman, et le jardinier maraichers de Fortier (plus accessible car en Français), sont de très bonne références, même si Mr Fortier bénéficie d’une main d’œuvre très importante en stagiaires qui lui permet de limiter la mécanisation… Ce qu’il ne précise pas trop… De plus, ils vendent leurs légumes à un prix prohibitif, auquel vous ne vendrez sûrement rien sur nos marchés Français…
Bonjour Dorian,
c’est vrai que les chiffres avancés par JM Fortier sont en dollars canadiens, et j’avais fait les conversions et les calculs pour rapporter tout ça à notre marché et arrivait à peu près à vos conclusions. Mais dans ses conditions très différentes, ils arrivent à un système économique qui semble viable. Pas forcément duplicable, mais qui peut malgré tout donner des idées ou de l’inspiration. Tous n’est pas forcément bon à prendre partout, à chacun de créer son modèle
Jérôme BOISNEAU / Permaraicher
Bonjour,
merci pour cet article qui invite à se poser les bonnes questions avant de se lancer dans un projet similaire.
Etant en phase de réflexion d’une petite ferme inspirée de la permaculture, j’ai identifié quelques « marchés » sur lesquels me positionner.
J’envisage dans un premier temps de garder mon emploi et demarrer en double actif afin de tester la viabilité économique et convertir le terrain en AB (nécessaire pour certains débouchés).
Me principales questions actuellement tourne autour d’aspects plutot administratifs:
quels status agricole choisir (EARL,…) et cotisations MSA ?
Faut-il solliciter les aides à l’installation et PAC? Quelles en en sont les contreparties? Ne risque-t-on pas de perdre en indépendance?
Quel est votre choix et votre avis sur ces questions?
Merci
Bonjour Stéphane,
Pour le choix des statuts (fiscaux, juridiques, social (MSA) etc…), il vaut mieux consulter des gens / associations dont c’est le métier. Pour les installations « atypiques » (micro-fermes, poly-pluri-activités…) les plus à l’écoute seront probablement les ADEAR de votre département. N’hésitez pas à vous rapprocher d’eux très en amont de votre projet.
Quant aux aides… les accepter ou pas relève à la fois de choix économiques, politiques, philosophiques et éthiques. Pour ma part, j’ai choisi d’accepter les aides PAC, tant qu’elles ne guident pas mes choix ou mes orientations pour ma ferme. En gros, JE choisi ce que je fais, et rempli mon dossier PAC ainsi (alors que pas mal d’agri orientent leurs choix en fonction des aides distribuées).
Ces aides ne représentent qu’une petite partie de mes revenus, mais les heures passées à remplir ces paperasses sont mes heures « les mieux payées » 🙂 .
Et je les accepte aussi car elles me permettent de payer ce que j’appelle mes « charges sociétales ». C’est à dire les frais que j’ai à cause du fonctionnement de notre société (assurance RC, MSA, certification AB …)
Jérôme BOISNEAU / Permaraicher
j’habite loin du Gers et je serais intéressées par une formation en ligne
merci de bien vouloir me recontacter lorsqu’elle sera disponible
Vous trouverez toutes nos formations en ligne sur : https://www.formations-permaculture.fr
Bonne suite 😉