Troisième année du jardin-forêt en permaculture : construction, transformation, développement !
Voilà un an que j’ai écrit mon dernier article sur l’avancée de la forêt comestible de la ferme de Lartel. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, pourtant, mais plutôt mon temps disponible qui est réduit, dans le constant bouillonnement du projet TERA ! Rentrons dans le vif du sujet : à quoi ressemble une forêt-jardin qui entre dans sa troisième saison ?
De nouveaux éléments pour supporter l’ampleur du projet de jardin-forêt en permaculture.
Le chantier majeur de la seconde partie de 2018 a été l’installation du réseau d’irrigation, ainsi que la création de sa routine d’utilisation. Déjà évoqué précédemment, ce réseau répond à l’agrandissement de la forêt-jardin au fil des ans. Un arrosage manuel devenait intenable, avec plusieurs milliers de m2 de guildes végétales et autres plantations à couvrir. Nous avons donc installé une conduite principale de 50 mm le long de l’implantation de la forêt comestible, d’où nous avons fait partir dix-sept lignes d’irrigation (15 en 2018 + 2 supplémentaires début 2019), « en peigne », avec voies de goutte-à-goutte, et voies de micro aspersion. L’approvisionnement de cette conduite principale (qui sera sans doute étendue en longueur, quand nous aurons fini toute l’implantation du jardin-forêt) est actuellement assuré par une ancienne fosse à lisier (qui a été curée l’an dernier), que nous remplissons avec un filet d’eau continu, issu du puits de la maison. Une pompe et un raccord mobile (car un chemin goudronné sépare la forêt-jardin du reste de la ferme) viennent transférer l’eau, pour, au minimum, un arrosage hebdomadaire pendant la belle saison.
À terme, pour plus de sources d’alimentation et donc plus de résilience (Principe de permaculture : la même fonction est remplie par plusieurs éléments !), je prévois que la conduite principale de la forêt-jardin puisse être également alimentée par le haut de la pente (bassin de rétention sur le coteau supérieur, avec approvisionnement gravitaire), et par le bas (bassin de rétention en bas de la parcelle, avec pompe). Cette seconde option va d’ailleurs peut-être se concrétiser dès cette année. Notez que dans les deux cas, ces bassins sont prévus pour servir aussi d’autres fonctions : biodiversité, alimentation conjointe jardin-forêt/maraîchage séparés par les bâtiments, lutte contre l’incendie dans le cas du bassin supérieur, etc. (Principe de permaculture : un élément remplit plusieurs fonction !)
Le chantier plus récent qui occupe l’équipe forêt-jardin en ce printemps 2019 est la construction de la cabane à outils. Située entre la haie de petits fruits et la guilde du kiwi, elle occupe une position idéale, à la croisée de la grande allée qui traverse la forêt-jardin de haut en bas, et du cheminement naturel qui la relie aux bâtiments de la ferme. Nous la construisons en bois et en tuiles (avec finalement un pare-pluie posé entre la tuile et la volige, après un premier essai un peu optimiste…). Cet abri dont les travaux viennent de s’achever (grâce à la mobilisation et la coopération de nombreux membres de TERA), va héberger les outils et consommables spécifiques à la forêt comestible, pour mieux les retrouver, mieux les entretenir, y avoir accès et les ranger en des temps réduits.
L’organisation du travail et le design du site s’adaptent aux ressources collectives et aux besoins futurs.
Sur le terrain, il y a toujours de l’enthousiasme et de la participation lors des chantiers, et c’est grâce à la participation régulière des permanents, amis, voisins, que le projet peut continuer à un bon rythme. En 2018 cependant, je me suis retrouvé un peu esseulé en temps que porteur et concepteur du projet. J’ai pris le temps de repenser aux principes de mise en œuvre d’une forêt comestible vivrière. Par essence non marchande (bien qu’« économique », dans le sens où l’on mesurera les récoltes et qu’elles feront économiser de l’argent au gîte de la ferme), elle ne peut représenter une activité à temps plein pour une personne qui a besoin par ailleurs d’autonomie financière. La solution réside au cœur même du projet : y consacrer un temps limité ET collectif. Dans cette optique, une nouvelle équipe « forêt-jardin » est en train de voir le jour, sur le principe d’une autonomisation de ses membres sur des aspects choisis du projet, afin que la charge globale soit répartie sur de plus nombreuses épaules, et l’idée de se donner des jours fixes dans la semaine pour travailler ensemble. Lisa gère toujours la cartographie, Thibaud et Émilie intègrent progressivement l’équipe en explorant ce qui leur plaît ou non, et le groupe est amené à grandir encore. Toujours dans cette optique, un travail que j’ai commencé l’an dernier et qui va se poursuivre à plusieurs est de formaliser certaines tâches récurrentes (entretiens, arrosages, récoltes), pour les rendre accessibles au plus grand nombre (autres permanents du projet TERA, et volontaires de passage). Le jour où les récoltes deviendront importantes, elles seront proposées en autonomie pour les personnes/structures ayant accès au jardin-forêt. Pour faciliter cette approche, les prochaines extensions de plantations se feront peut-être sur le modèle du verger permaculturel de Stefan Sobkowiak, avec des allées diversifiées plantées selon leur calendrier de récolte. En les ajoutant aux guildes de Permaculture Design, nous pourrons explorer plusieurs approches du jardin-forêt au même endroit, pour maximiser nos retours d’expérience.
La permaculture incitant à tenir compte des rétroactions, et à s’adapter aux ressources disponibles plutôt que de forcer les choses en volontariste, il est apparu que maintenir la plantation et l’entretien des plantes herbacées au même rythme que celui des plantes ligneuses n’était pas soutenable pour le moment en termes de temps de travail et d’énergie disponible. Aussi, depuis fin 2018 toutes les nouvelles plantations se concentrent sur les arbres, arbustes et ligneux grimpants, jusqu’à ce que l’équipe se renforce assez pour se consacrer davantage aux petites vivaces et pourquoi pas à certaines annuelles. Une autre stratégie envisagée est de suspendre les plantations l’an prochain pour renforcer l’entretien de l’existant.
La forêt comestible s’agrandissant, ses besoins en amendements croissent également. Une zone de déchargement et de stockage attenante à la route a été dessinée pour être facile à approvisionner depuis l’extérieur, facile à repérer grâce à un demi-cercle d’arbustes fruitiers à feuillages persistants (feijoas et goyaviers), entre lesquelles seront préservés plusieurs accès de brouette pour acheminer paille, broyat, fumier, feuilles mortes, dans toutes les directions à l’intérieur du jardin-forêt.
Plantations exotiques, multiplications végétatives et entretiens du jardin-forêt en permaculture.
En plus de ce que j’ai cité plus haut, un ajout notable pour cette troisième saison, a été la création d’une grande allée de fruitiers diversifiée un peu plus exotique, dans le prolongement des guildes existantes. Elle a été pensée en tenant compte des cheminements présents et à venir, et dans l’idée que les espaces qui séparent les arbres pourront être densifiés de petits fruits et vivaces si les ressources humaines du projet le permettent. Des fruitiers relativement rustiques (argousiers, asiminiers, néfliers du Japon, grenadiers) y côtoient des expérimentations un peu plus risquées, principalement des agrumes greffés sur poncirus trifoliata : deux mandariniers Satsuma, un pomelo Enzo, un clémentinier Clemenules. Ces variétés sont données rustiques à -10 °C, ce qui reste jouable pour le Lot-et-Garonne, mais demande un peu de prudence. Des barrières anti-vent, en paille tressée autour de bambous, protègent le côté nord des fruitiers les plus sensibles.
Pour finir, cette allée est ponctuée de fixateurs d’azote comme le robinier ou la coronille arbuste, ainsi que de deux Cedrelas Sinensis. Cet arbre, appelé aussi Acajou de Chine, est à la fois alimentaire (les jeunes feuilles se mangent comme légume vert), aromatique (les feuilles âgées s’utilisent comme un substitut de thé), médicinal (propriétés styptiques, carminatives, fébrifuges…). Son bois est noble et est aussi utilisé comme encens. Il pousse très bien sous nos latitudes.
Pour finir sur le registre de l’exotisme, je fais également un test de bananier de l’Himalaya (Dajiao Musa), rustique à -8 °C, avec trois plants sous serre. Si nous trouvons un endroit bien abrité dans le jardin-forêt, nous ferons des tentatives d’implantation en pleine terre dans les années qui viennent.
Après l’allée exotique, dans le prolongement de la pente, nous avons installé deux kakis, des cormiers ainsi que des framboisiers (qui s’accommoderont mieux du sol plus profond, plus riche, et plus frais, du bas de la parcelle).
Par ailleurs, nous avons remplacé la plupart des pertes de la saison dernière à la forêt-jardin. Devant la difficulté à comprendre les facteurs d’échec ou de réussite des baguenaudiers sur notre terrain, nous les avons remplacés par des caraganiers de Sibérie et des coronilles arbustives (la coronille a l’avantage d’avoir une taille adulte similaire au baguenaudier), dans les guildes des pêchers. En parlant d’eux, les pêchers les plus atteints par la cloque ont été déplacés dans la haie, et remplacés par des amandiers et des grenadiers, qui ont très bien repris.
Lorsque (voir plus haut), nous avons décidé de limiter l’implantation d’herbacées pour nous concentrer sur les ligneux, nous en avons profité pour densifier en fruitiers la guilde de la vigne, très étendue, en ajoutant des poiriers au centre.
Les années passant, nous montons aussi en compétence sur la multiplication végétative, pour, à terme, avoir une pépinière de renouvellement efficace. Des boutures de petits fruits (cassis et groseilles) remplacent les pertes des années passées. Thibaud s’est lancé dans différentes techniques de marcottage pour les figuiers (au sol et aérien) et j’ai commencé à me former à la greffe au conservatoire végétal d’Aquitaine. Mes deux premiers scions de pommier et poirier (greffés « à l’anglaise compliquée ») ont bien repris et seront définitivement implantés l’an prochain.
Au niveau de l’entretien, nous avons également progressé sur la taille et l’arcure des fruitiers. Les premiers essais sont prometteurs, et nous avons ouvert en 2018 le port de plusieurs fruitiers pour favoriser leur fructification future.
Les épandages de broyat de l’an dernier dans les guildes ont abouti à un développement mycélien important, avec l’apparition de nombreux sporophores (partie aérienne des champignons) à l’automne 2018 pour la première fois depuis le début du projet.
Si les désherbages manuels au pied des plantations sont régulièrement nécessaires (surtout au printemps), nous limitons de plus en plus les débroussaillages de guildes et d’allées, au maximum deux fois par an. La première fauche intervient maintenant au plus tôt en juin, afin de laisser au maximum insectes et prairie faire leur cycle.
Lisa a fabriqué et installé plusieurs nichoirs dans le vieux verger et sur le bord boisé nord-est de la parcelle. Ils accueilleront mésanges, rouges-queues, et autres passereaux.
Enfin, Émilie a construit des pièges à carpocapse à base de bière et de mélasse dans le vieux verger, pour lutter contre le ver de la pomme. Elle a ainsi piégé un bon nombre d’individus adultes, et nous verrons cet été si les fruits sont moins abîmés que les années précédents.
Silence, ça pousse !
Après deux ans et demi d’existence, le jardin-forêt a surtout besoin de travail et de patience. Le vieux verger ainsi que les vivaces utilitaires et les petits fruits qui commencent à donner, aident à accepter le temps que prendra le plein épanouissement du projet. On ne tire pas sur les feuilles des arbres pour les faire pousser plus vite ! Le rythme naturel de développement du végétal (et de la faune associée) est un spectacle tellement dense d’apprentissage et de beauté, qu’on aurait de toute façon tort de vouloir le précipiter.
Chaque saison apporte son lot de nouvelles récoltes, symboliques au début, puis de plus en plus nourrissantes. Cet été, nous aurons pour la première fois quelques dizaines de pêches et nectarines (elles se comptaient sur les doigts d’une main lors des deux premières saisons) malgré toutes les difficultés que nous traversons encore avec la cloque du pêcher. Avec de la patience et du travail, tout vient à point.
Je ne sais pas où en sera la forêt-jardin la prochaine fois que j’écrirais, je lui laisse le soin de nous surprendre et de nous apprendre.
Et d’ici là bien sûr, restez permacools ! : )
Grégor Alécian
Faire ensemble
Outils participatifs pour les collectifs
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Créer un jardin-forêt
Une forêt comestible de fruits, légumes, aromatiques et champignons au jardin
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Grégor Alécian
Citoyen en transition, permaculteur, initiateur du projet de forêt-jardin et membre de la commission communication chez TERA. TERA est un projet expérimental qui vise à construire un éco-village pour relocaliser à 85% la production vitale à ses habitants. TERA valorisera cette production en monnaie citoyenne locale, émise via un revenu d'autonomie pour chacun de ses habitants. Retrouvez plus d'informations sur le site de TERA : www.tera.coop
Bonjour, contre la cloque du pécher, suspendre des coquilles d’oeuf dans l’arbre… ça parait fou mais ça marche …
D’expérience, ça ne marche absolument pas chez nous 😉
Est-ce que planter de l’ail au pied à été testé ? Je dois encore essayer chez moi
Bonjour Grégor,
Je suis scotchée par votre projet depuis l’épisode 1. Là je suis carrément émerveillée.
Merci pour ces partages !
(NB. Je ne sais pas si vous connaissez la chaîne YouTube de James Priggioni – The Gardening Channel. C’est une grande source d’inspiration aussi, pour moi, ces deux forêts jardins, l’une de 7 ans, l’autre d’1 an.)
Je vous souhaite beaucoup de succès à tous dans vos entreprises collectives.
Emilie.
Merci pour vos encouragements et pour le partage sur James Priggioni, que je ne connaissais pas. 🙂
Bonsoir,
Vous pouvez m’en dire plus sur les pièges à carpocapse ?
Suspendus dans les pommiers ? Proportion de bière et de sucre ?
Merci d’avance
Bonjour,
Vous faites un mélange 50/50 eau et mélasse, auquel vous ajoutez la bière. Une petite bouteille de bière (33cl) doit suffire normalement pour un mélange de 20L . La bière amène les levures qui vont se nourrir du sucre du mélange, et se reproduire. Pas besoin d’en mettre des tonnes, donc. 🙂
Bonsoir Gregor.
Je viens seulement de voir que vous m’aviez répondu.
Merci beaucoup.